Covid-19 au Cameroun / Enquête au cœur des centres de santé informels : Ces ‘’ mouroirs ‘’ dépourvus de tout !
En ce jeudi 9 avril
2020, le Cameroun compte désormais 730 cas confirmés de Coronavirus, 10 décès
et 60 guérisons.
Le pays de Paul Biya devient ainsi l’un des principaux foyers du virus en
Afrique, avec un taux de décès inquiétant, et un taux de guérison qui
peine à décoller.
A côté de la politique adoptée par les autorités sanitaires jugée inefficiente,
s’ajoute le manque de formation du personnel soignant, mal informé et mal
équipé pour faire face à la propagation du virus.
Assise derrière sa table en bois, Olga, une infirmière de
29 ans, scrute l’écran de son smartphone. Comme avant. Mais elle a perdu son
sourire d’antan et ne flirte plus sur WhatsApp.
Un mot nouveau s’est invité dans sa vie : coronavirus. « Je
lis tout sur Internet sur cette maladie, je suis les informations à la télé.
J’ai vu des médecins masqués de la tête aux pieds comme pour aller sur la Lune,
mais ici, dans notre centre, nous n’avons pas ça. » Elle pointe
une boîte d’alcool sur un plateau de soins. « Voilà ce que j’ai.
Aucun masque. Et j’économise les gants, car on n’en a pas assez. »
Quand le pays a enregistré ses deux premiers patients testés
positifs au Covid-19, Olga n’a pas fait de recherches sur « cette
maladie qui tue les Blancs ». Elle reçoit pourtant chaque jour
des patients souffrant de grippe, de toux et de fièvre. « Des maux
habituels. Ici, la plupart des malades toussent ou ont le paludisme », relativise
la jeune femme. Alain*, propriétaire du centre de santé et infirmier à
l’hôpital de district de Deïdo, ne cache pas sa peur « face aux
morts de Chine et d’Italie ».
Signe de la gravité du moment, le gouvernement mène
une « vaste recherche active des cas au sein de la
population » de Douala. Quelque 1 500 agents
communautaires ont été mobilisés pour faire du porte-à-porte afin de
sensibiliser aux mesures de prévention et d’« identifier les personnes
risquant de développer la maladie » pour leur faire subir un test
de dépistage.
Pas d’existence légale
« Au chapitre de la formation, la priorité reste le
renforcement continu des capacités du personnel de santé, en première ligne
dans la lutte contre cette pandémie et qui, jusqu’ici, s’acquitte de sa mission
avec dévouement, engagement et sens élevé du sacrifice et du service
public, a déclaré le ministre de la santé publique, Manaouda Malachie,
lundi 6 avril. Sous ce rapport, des formations sont organisées
tous les jours, au niveau central et déconcentré, pour s’assurer que notre
personnel dispose des éléments probants, de nature à répondre avec efficacité
et permanence à cette pandémie. »
Selon Georges Alain Etoundi Mballa, directeur de la lutte
contre la maladie, les épidémies et les pandémies au ministère de la santé, des
formations et des opérations de sensibilisation et de renforcement des
capacités des personnels soignants sont organisées à travers le Cameroun. « L’objectif
est de former le plus grand nombre afin qu’ensemble, nous puissions faire face
à cette pandémie », souligne-t-il sans plus de précisions.
Mais ils sont des milliers, comme Olga et Alain, à se sentir
oubliés, parfois mal formés et souvent peu informés, dans les centres de santé
des quartiers populaires. Un centre comme celui de l’Amitié n’a d’ailleurs
aucune existence légale et pas d’autorisation d’exercer. Pourtant il est là,
depuis des années, au cœur des zones les plus déshéritées. Et les malades,
faute d’autres services de proximité, sont bien contents de le trouver. Dans
les grandes villes comme Yaoundé ou Douala, ces centres sont parfois installés
au sein même des maisons.
D’après Sylvain Nga Onana, le président du Syndicat national
des personnels des établissements et entreprises du secteur de la santé du
Cameroun, ces structures sont même les premiers lieux où se rendent les
habitants dès qu’ils sont malades. « C’est la porte à côté », plaide-t-il,
conscient du danger dans cette épidémie. « J’ai peur que les
chiffres d’aujourd’hui ne soient multipliés par 1 000 d’un moment à
l’autre, parce que ces centres ne comptent pas toujours de professionnels de
santé » formés, équipés et maîtrisant les règles de réception de
malades infectés par le Covid-19, s’inquiète le syndicaliste.
Le danger est immédiat
En août 2019, l’Ordre national des médecins du Cameroun
(ONMC) s’était bien alarmé de la « cote d’alerte atteinte », dénombrant
un minimum de 3 400 centres de santé privés illégaux à travers le
pays, structures clandestines où on trouve « toute la panoplie de
la mal-pratique sur le plan médical ». De leur côté, les deux
principaux syndicats du secteur de la santé ont adressé le
31 mars une lettre au ministre de la santé publique, dans laquelle ils
demandent notamment que chaque professionnel exerçant dans une structure
sanitaire publique ou privée soit doté d’un équipement adéquat et que chaque
centre dispose de matériels de détection du coronavirus.
Mais le président d’une association y croit peu, estimant,
sous couvert d’anonymat, que le danger est immédiat pour les petits
centres : « Ce sont de véritables mouroirs. Les malades vont
contaminer les personnels soignants qui n’ont ni masques, ni gants, ni le
matériel nécessaire, et qui vont contaminer à leur tour les autres
patients. » Il ajoute que jusqu’alors, le sujet intéressait
d’autant moins que « depuis des années, les responsables nationaux
vont se soigner ailleurs ; mais aujourd’hui, avec ce coronavirus, même
leurs mères, tantes et oncles risquent de mourir ici ».
Si Olga, au centre de l’Amitié, craint par-dessus tout
de « mourir avant d’avoir eu un enfant », Diane,
infirmière dans un autre petit centre de Douala, a peur, elle, de contracter la
maladie et de la transmettre à ses trois enfants et, surtout, à sa mère, âgée
de 64 ans, avec qui elle vit. « On a constamment des coupures
d’eau. En plus, on n’a même pas de masques », se plaignait-elle
déjà, mi-mars, à notre passage. Sa collègue Suzie, qui riait encore un peu du
danger il y a deux semaines, a disparu. « Je suis seule, Suzie est
partie. Elle est enceinte et ne veut pas prendre de risque. Elle a raison, le
salaire est minable. Moi je reste, je dois m’occuper de ma famille », regrettait
Diane lors de notre dernier appel, fin mars.
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